Et voilà, une nouvelle année qui commençait. J'avais terminé ma première année avec brio, ayant réussit mes épreuves haut la main, que ce soit en chant, danse, théâtre ou cinéma. J'avais donc été admise en deuxième année, et je l'avoue, j'en étais fière, très fière même. La seule chose qui me chagrinait un peu, c'est de ne pas avoir pu remercier Mr Eristov qui m'avait entraîné et donné une chance. C'est grâce à lui si j'y étais parvenue... Remarquez, j'avais eus pour le moins une sacrée surprise à la fin de l'année, en découvrant que Mlle July, bien que garce à souhait en apparence, n'avait fait tout cela que pour me booster davantage. Elle avait réussit, je voulais tellement lui faire fermer sa grande bouche que j'avais décidé de me dépasser, pour lui prouver que j'étais bien meilleure qu'elle ne le prétendait. Pour une fois, la première impression s'était avérée trompeuse... Ma vision de Mlle July avait donc changée, je le reconnais, et je l'appréciais largement plus qu'au début. Toutefois je dois vous avouer que j'espérais un peu avoir Mr Eristov comme professeur cette année, car bien qu'il n'ait été " que " remplaçant l'année dernière, on m'avait apprit que Mme Tibideaux l'avait finalement embauché à temps complet. Pourquoi cela était si important pour moi ? Je ne sais pas... sans doute parce que je lui devais beaucoup. Oui. C'est forcément pour cela. Ca ne peut être que pour cela.
A côté de cela, je dois avouer que je ne l'avais pas recroisé, que ce soit dans les couloirs, dans la cour, ou dans New York. Une part de moi désespérait un peu... allez dont savoir pourquoi. C'était idiot. Ce n'était qu'un professeur, j'en avais eut plein des profs ! Non, c'était stupide. Je devais juste.. me le sortir de la tête. J'avais d'autres chats à fouetter, et une année qui s'annonçait encore bien remplie. Ils avaient déjà été exigeant l'année passée, alors imaginez ce que c'est quand on monte d'une année ! Si, au bout de la cinquième année, si on a réussit à tenir ( car peu de personne y parviennent ! ), on n'est pas le meilleur... Alors là, je ne sais pas ce qu'il faut faire.
Quoi qu'il en soit, j'avais une heure de libre entre un cours de chant et un cours de cinéma, et bien que j'habite dans le Queens, c'était trop loin pour rentrer chez moi. A peine arrivée, j'aurais eus quoi ? Dix minutes pour me poser, et j'aurais dû repartir aussitôt. Alors je m'étais rendue au Times, un petit bar/café à même pas cinq minutes de la NYADA. A cette heure, je pense que j'aurais un peu de tranquillité. C'est ainsi que je me retrouvais, assise dans un coin, près de la fenêtre, recopiant au propre mes cours rédigés en abrégé et avec une écriture pour le moins illisible. Enfin moi je parvenais à me relire, mais avec un peu de mal, et ce n'était guère très agréable à voir. Je recopiais alors distraitement, mon esprit divaguant ça et là... J'entendis alors une personne entrer dans le bar. Ne relevant pas les yeux, je continuais mon recopiage quand la personne qui était entrée prit la parole... et malgré moi, je réagis au quart de tour. Bon sang, mais qu'est-ce qui m'arrive ?! Le sourire aux lèvres, je me retournais.
-Mr Eristov ?!

- Mademoiselle Parker !?
Malgré le temps que j'avais pu passer avec Mr Eristov durant toute l'année passée, je l'avais rarement vu sourire. Rarement, pas jamais. Mais ça faisait toujours plaisir, encore plus aujourd'hui... Au moins je ne l'avais pas traumatisé, c'était toujours bon à savoir... Ok, pas traumatisé, mais j'avoue être surprise qu'il ait supporté mon caractère tout ce temps !
-Et oui...
Je ris légèrement, rire d'apparence décontracté, mais plutôt nerveux en fait. Bah oui, ça faisait un moment tout de même qu'on ne s'était pas vu... d'un autre côté, c'est un peu normal. Vous avez vu ça où qu'un prof et un élève se voient en dehors des cours, comme de bons vieux copains ? Avouez, même vous vous trouveriez ça louche.
Alors qu'il semblait avoir reporté son attention sur le barman, je me dis qu'il serait peut-être totalement idiot d'insister, autant me replonger dans mon travail, même si ce serait vraiment avec la tête ailleurs... Mon blanco risquait de bien servir ! C'est alors que Mr Eristov revint dans mon champ de vision, et je vous jure que c'est pas parce que j'ai tourné la tête ! Non non, il était venu s'asseoir face à moi, café à la main. Visiblement, lui aussi il avait besoin de sa dose de caféine... Afin de ne pas paraître impolie, je refermais livres et cahiers et les mit sur le côté.
- Alors, que devenez vous ?
-Et bien... je suis en deuxième année maintenant... rien de plus à dire...
Ou pas. En fait si, il y avait un peu plus à dire. Je le dis ? Je ne le dis pas ? ...Non à quoi bon. Je baissais la tête, un peu... déçue je l'avoue. L'histoire me restait toujours en travers de la gorge. Je n'en n'avais parlé à personne encore... Je soupirais.
-J'ai tenté de passer l'audition pour Funny Girl durant les vacances... et je n'ai pas été retenue. Je travaille dans une boutique de CD maintenant.
Je haussais les épaules et relevais la tête vers lui, comme si ce n'était rien alors que pour moi, c'était tout. J'avais toujours pensé être Fanny Brice. Etre parfaite pour le rôle en somme. La réalité m'avait rattrapée... Pourquoi l'avoir dit à Mr Eristov ? Je ne sais pas. Peut-être parce que lui, au fond, il s'en fiche. Je ne suis qu'une élève parmi tant d'autres. Il ne me jugera pas.

Comme s'il avait comprit que cela m'affectait plus que je ne voulais l'admettre, Mr Eristov posa sa main sur la mienne, contact qui, bien que surprenant, me tira un léger sourire. Je sais, je ne  suis qu'une sombre idiote...
- Il ne faut pas que vous soyez déçu ! Des rôles vous en aurez d'autres... Surtout que vous êtes jeune et déjà très talentueuse.
Il ne comprenait pas. C'est... complètement dingue, mais il ne comprenait pas. En fait non, ce n'était pas si dingue que cela. Ce n'est pas vraiment comme si il me connaissait par coeur, on en était même très loin ! Il retira soudain sa main, bredouillant des excuses, probablement à cause du regard limite accusateur que je lui lançais, sauf que ça n'avait rien à voir avec cela. D'ailleurs, je ne prêtais pas même une oreille à ses excuses dans la mesure où, à moins que je n'ai raté un épisode, il n'avait rien fait de mal en dehors de comparer le rôle de Fanny Brice à n'importe quel autre rôle. Lui lançant un regard appuyé je répondis.
-Ce n'est pas n'importe quel rôle ! C'est Fanny Brice ! Rater Fanny c'est comme rater une chanson de Barbra, ce qui est presque cela effectivement puisque Fanny était interprétée par Barbra, si je n'ai pas eus ce rôle, c'est bien parce que malgré ces 19 années d'entraînement intensif à l'art d'être Barbra je ne suis pas suffisamment douée ! Alors oui, peut-être que je suis la Céline Dion des petits clubs de chants de lycées de Los Angeles, et peut-être que je suis juste à la limite du talent pour la NYADA, mais pour Broadway... ou tout simplement pour un rôle de Barbra, il est clair que je ne suis rien, je ne vaux pas un clou !
Et voilà le résultat de plusieurs semaines de frustration et de déni, à ne rien dire et à ruminer en silence mon échec... remarquez, en parler n'aidait pas plus, ce n'était que formuler à voix haute une bien trop pénible vérité. Sauf qu'en réalité, ce n'est pas le cas. Ce n'est pas la vérité ! Sans même vraiment y faire attention, je me levais et me penchais vers mon ancien prof, sans même penser une seule seconde que je pouvais avoir l'air d'une folle sortie d'une asile. J'étais trop... préoccupée par mon rôle... ou plutôt l'échec cuisant lié à ce rôle pour cela.
-Non en fait non. Je suis Fanny Brice, ils ne pourront pas trouver mieux ! Ils vont faire un flop, c'est évident ! Je chante du Barbra depuis que j'ai 9 ans, combien de ces prétendues comédiennes et chanteuses de bas étages peuvent se vanter de cela, hm ? La plupart d'entres elles ont le culot de modifier la tonalité des chansons de Barbra, ou sont incapable de tenir aussi longtemps qu'elle les notes finales, encore moins avec autant de poigne ! Ils vont s'en mordre les doigts !
...Ou alors ça allait faire un carton et j'allais juste finir malade. Je me laissais retomber sur mon siège.
-...Non je suis nulle...
Nulle et surtout totalement désespérée...

A voir le mouvement de recul qu'il avait eut lorsque je m'étais levée, je devais effectivement faire un peu peur... Mais cela n'était guère important parce que ce rôle représentait tant pour moi que je ne pouvais pas vraiment me contrôler. C'était juste plus fort que moi, et j'étais tiraillée entre l'idée d'être totalement nulle et celle d'être la meilleure des meilleurs.
- Mais non, vous n'êtes pas nulle ! Vous aurez d'autres occasions d'interpréter ce rôle ! Ne vous emportez pas pour un échec, malheureusement vous en aurez d'autres ! Comme tout le monde. S'il vous plaît, ne vous mettez pas dans des états pareil, cela ne sert à rien. Vous êtes talentueuse et c'est tout ce dont vous devez vous souvenir ! Je comprends très bien que vous soyez déçu, mais la colère n'arrangera rien. Allez, je préfère vous voir positive dans ce que vous faites, comme vous l'avez toujours été avec moi !  
C'était gentil de sa part. Il était gentil. Adorable même. Mais je suis têtue et pour moi il reste clair que si je n'ai pas eus ce rôle c'est que quelque chose cloche chez moi, sans compter qu'il se passera beaucoup de temps avant qu'ils ne remettent Funny Girl en scène et que je serais probablement déjà morte et enterrée à ce moment là.
-Bien que je doute sérieusement d'avoir de nouveau l'opportunité d'interpréter Fanny, admettons. Seulement... je ne sais pas, c'est comme si vous aviez l'occasion d'auditionner pour un spectacle de danse incroyable, votre rêve depuis toujours ! Vous connaissez les mouvements, vous savez que personne ne peut vous battre, mais tout à coup tout vos espoirs sont réduits en poussière parce qu'un pauvre minable tellement incapable d'être sur une scène qu'il en est réduit à observer les autres briller vient vous dire entre quatre yeux que vous n'êtes pas suffisamment bon ! Une opportunité en or, celle que vous ne pouviez imaginer que dans vos rêves les plus fous, et on ose venir vous dire que vous n'êtes pas suffisamment qualifié pour prendre un vieil idiot tremblotant avec des gestes moins fluides et une techniquement tellement chancelante que vous sentez le moment où il va tomber de scène ! ...Et bien c'est à peu près la même chose que je ressens.
Je soupirais doucement suite à ma tirade, je sais ce que je vais faire : je vais auditionner pour le plus de rôle possible et montrer à ces réalisateurs à la noix ce que vaux Phoebe Parker. Tient pourquoi pas West Side Story ? A moins que là encore, je ne suis pas qualifiée pour le rôle de Maria ?
-Evidemment que j'étais positive avec vous, vous me donniez la sensation que je m'améliorais...
Je ris légèrement, baissant la tête. C'était le bon temps...